Discours d'Elisabeth Borne - 5èmes rencontres de la mobilité inclusive : « Mobilités en transitions, quel choix de société ? »

Le Mardi 29 mai 2018

Seul le prononcé fait foi

 

Madame la Déléguée générale, chère Valérie Dreyfus,

Mesdames, Messieurs les élus

Mesdames, Messieurs,

Merci pour cette invitation aux rencontres de la mobilité inclusive dont le rythme témoigne de la montée en puissance des enjeux que vous avez su porter avec énergie et conviction sur le devant de la scène publique.

Votre voix fait écho aux problèmes rencontrés par des millions de nos concitoyens, et je retrouve dans ce que vous défendez beaucoup de mes propres convictions, au cœur du combat que je mène depuis un an déjà pour les transports du quotidien.

Vos travaux en témoignent régulièrement, nous assistons aujourd’hui à une mobilité à plusieurs vitesses. Alors que dans une société où le besoin de mobilité, à la fois des personnes et des biens, est en augmentation continue, elle reste en effet inaccessible pour de nombreux Français.

Parce qu’ils ont été contraints de s’éloigner des centres urbains pour bénéficier de loyers ou de foncier abordables et qu’ils se retrouvent confrontés à une absence d’offre de transports collectifs,

  • parce qu’ils n’ont pas les ressources financières pour acheter ou entretenir un véhicule,
  • parce que leur condition physique ou cognitive les prive d’un usage autonome des transports…

Tant de situations qui sont susceptibles d’assigner les plus fragiles d’entre nous à résidence et de les priver ainsi d’un accès aux emplois, aux services, aux loisirs, en un mot à tout ce qui permet l’insertion et l’épanouissement d’un individu dans la société.

Ces situations de vulnérabilité, vous en êtes les témoins au quotidien sur le terrain. Vous avez permis d’y apporter des solutions. Grâce à l’émergence et au développement des structures de mobilité inclusive ces dernières années, c’est un modèle qui s’est construit, basé sur l’écoute et l’identification fine des freins à la mobilité, qui permet de développer des réponses adaptées, de différentes natures. *

Qu’elles agissent sur un plan matériel, financier ou pédagogique, ces solutions ont permis le plus souvent de raccrocher de nombreux individus au monde de l’emploi. Tant et si bien que des partenariats se sont noués avec certains acteurs publics, je pense à Pôle Emploi notamment, ou avec des opérateurs de transports, et je pense à la SNCF puisque j’assistai en octobre dernier à la signature du partenariat entre Wimoov et la SNCF.

Ces situations de vulnérabilité, beaucoup de nos concitoyens les ont également décrites dans les ateliers ou dans les territoires au cours des Assises nationales de la mobilité dont je retiens le besoin profond d’un changement dans la prise en compte de ces difficultés.

Les Assises l’ont montré, et vous avez raison de le souligner de nouveau par l’intitulé même de cette journée, nous sommes face à des mobilités en profondes transitions. Je parlerais même de révolution.

Les nouvelles technologies qui émergent, qu’il s’agisse des mobilités propres, autonomes, connectées, partagées, et l’apparition d’une profusion de nouveaux acteurs qui en résulte bouleversent en effet totalement un paysage, au sein duquel la frontière entre transport public et mobilité individuelle s’estompe de plus en plus.

Les comportements de mobilité évoluent eux aussi. Ils évoluent sous l’effet de la prise de conscience environnementale, qui gagne progressivement du terrain ; ils évoluent aussi souvent, admettons-le, sous la contrainte financière.

Nous voyons ainsi de plus en plus de nos concitoyens se détourner de la propriété d’un véhicule pour y préférer une location ponctuelle, souvent entre particuliers, relevant davantage d’une logique de services ;

Nous voyons le covoiturage, l’autopartage se développer toujours plus, même si la mise en œuvre sur les trajets domicile-travail restent encore à stimuler ;

Nous voyons l’usage du vélo se transformer, ce mode de transport propre, peu onéreux, rapide et bénéfique pour la santé, qui s’avère extrêmement pertinent sur de nombreux trajets du quotidien : rappelons toujours à cet égard qu’en France, plus de la moitié des déplacements font moins de 5 km ! Il y a là une formidable opportunité à saisir pour plus de mobilités, de surcroît avec l’ensemble des innovations techniques et technologiques à l’œuvre.

Mais ces transitions portent toutefois en elles un risque si elles ne sont pas accompagnées. Celui de ne pas profiter aux personnes les plus vulnérables, aux plus faibles d’entre nous, qui faute de ressources, d’accès à l’information, d’accompagnement et d’apprentissage de ces mobilités, en sont exclues.

Ces mêmes personnes qui sont aujourd’hui le plus souvent captives de la marche et de transports collectifs ne répondant pas toujours, quand ils existent, aux besoins en termes de dessertes et d’horaires pour rejoindre les emplois. Qui n’utilisent pas ou très peu le vélo faute de savoir le pratiquer par exemple, alors qu’il pourrait parfois être une solution pour les courtes et moyennes distances.

Or la mobilité, on le sait, est un puissant facteur d’insertion sociale, économique et professionnelle. Elle est un préalable conditionnant l’accès à tous les autres droits.

Alors oui, il est l’heure de faire des choix pour que ces transitions ne s’opèrent pas essentiellement pour les actifs et les urbains mais pour le plus grand nombre, pour qu’elles n’aggravent pas encore les inégalités dont nous avons tous conscience ici mais au contraire les réduisent.

Vous le savez, après le temps des Assises de la mobilité viendra prochainement celui de la loi d’orientation sur les mobilités, dans sa continuité logique.

J’entends à cette occasion porter des mesures fortes et concrètes pour agir contre ces inégalités, en prenant appui sur les apports des Assises.

 

  1. D’abord, je veux encourager le dialogue des acteurs en faveur de la mobilité des plus fragiles.

J’ai conscience, comme les précédentes éditions de ces rencontres l’ont souvent souligné, que le système actuel de gouvernance de la mobilité des plus fragiles n’est pas satisfaisant. Du côté des pouvoirs publics, c’est essentiellement la seule sphère sociale, de l’emploi et de l’insertion, qui la prend en charge. Certes la sphère publique de la mobilité a été progressivement chargée par la loi de mettre en œuvre des politiques de droit au transport pour tous et d’accessibilité de tous à la ville.

Toutefois, dans la réalité, il faut le reconnaître, elle s’en est souvent peu saisie, excepté pour la mise en place de tarifications sociales dans les réseaux urbains de transport. Or si ces tarifications sont essentielles dans l’accès à la mobilité, elles n’en sont toutefois qu’un moyen parmi d’autres ; de surcroît, elles ne sont pas toujours connues aujourd’hui de leurs potentiels bénéficiaires et sont appliquées pour des transports ne garantissant pas forcément une desserte adaptée à leur besoin.

Je souhaite ainsi, par la loi, faciliter la prise en charge par les autorités organisatrices de la mobilité de ces enjeux sociaux de la mobilité et leur donner des outils pour l’exercer.

Les AOM pourront ainsi organiser par elles-mêmes ou financer des services de mobilité à caractère social, ou verser des aides individuelles à la mobilité.

Au-delà, je souhaite également décloisonner le système actuel, en permettant une articulation plus étroite entre les acteurs de la mobilité, de la sphère sociale et de celles de l’emploi et de l’insertion pour une action plus coordonnée, plus lisible et donc plus efficace. En pratique, ces différents acteurs interviennent en effet le plus souvent en silo, sans espace de discussion ou de rencontre régulière.

Pour cela, je proposerai au Parlement de donner l’obligation à l’ensemble des parties prenantes, à l’échelle d’un bassin de mobilité, d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action commun et pluriannuel, dont la coordination sera assurée par une conférence annuelle des partenaires de la mobilité à caractère social.

L’objectif est clair : il s’agit de permettre à tout demandeur d’emploi ou de formation de bénéficier à proximité de chez lui d’un conseil et d’un accompagnement individualisé en mobilité. En d’autres termes, de permettre la réplication à plus grande échelle de l’ambition que vous proposez et dont les résultats sont si encourageants.

Mais cette action commune devra également permettre de mieux coordonner les aides individuelles à la mobilité, aujourd’hui variées mais trop peu lisibles, ainsi que les aides financières versées aux associations, dont le modèle économique est souvent fragile et nécessite le concours de différents financeurs. Je sais l’importance que cela revêt pour vous.

  1. Ensuite, j’entends faciliter l’accès aux solutions existantes par l’information

Au-delà de cette responsabilisation des acteurs publics, j’attache également une grande importance à garantir les conditions d’une information fiable, complète et accessible aux usagers. Nous le savons, c’est le préalable indispensable pour l’organisation d’un déplacement, c’est la première « porte d’entrée » et de fait le premier frein à la mobilité. Bien pensée, elle devient un outil majeur pour faciliter l’accès et l’usage des différentes solutions existantes de mobilité, que ce soit pour les transports collectifs, publics ou privés, les transports à la demande ou les services de mobilités actives et partagées.

Pour les personnes les plus fragiles, la qualité et la facilité d’accès de cette information prend une importance plus grande encore. Et elle ne se résume pas aux solutions de mobilité : l’information sur les aides financières disponibles en matière de mobilité, souvent nombreuses mais dispersées et relevant d’une grande variété d’acteurs, doit elle aussi être pleinement intégrée, simplifiée, lisible.

Les régions et les métropoles devront ainsi développer leurs systèmes d’information multimodale en ce sens, en veillant à intégrer l’ensemble des solutions de mobilité, y compris dans les territoires peu denses et pour les publics spécifiques.

Elles auront également la charge de créer un portail d’information sur les différentes aides individuelles liées à la mobilité disponibles par territoire, afin que chaque individu, en renseignant son profil, son territoire et ses moyens de déplacement, puisse en avoir simplement et rapidement connaissance.

Si les outils numériques offrent à cet égard un potentiel considérable et en perfectionnement continu, il demeure également indispensable de préserver des moyens non-numériques d’accès à l’information : je pense par exemple aux plateformes téléphoniques, je pense aussi bien sûr aux relais humains de proximité existants dans chaque bassin de vie, déjà aujourd’hui en accueil et en accompagnement de publics en difficulté, comme les maisons de service au public.

Afin d’accompagner les collectivités dans la mise en œuvre de cette compétence en conseil et accompagnement à la mobilité, je souhaite également, au-delà du cadre législatif, que puissent être ouvertes des missions de service civique spécifiquement dédiées à cette fin en collectivités et associations.

  1. Il nous faut également encourager les nouvelles solutions de mobilité, notamment partagées, dans les territoires ruraux ou diffus où l’offre de transport est insuffisante

L’État doit résolument encourager de nouvelles solutions de mobilités durables, adaptées à tous et à tous les territoires, et ce afin de permettre un accès toujours plus généralisé aux services, à l’emploi et aux loisirs.

Il s’agit avant tout de faciliter l’essor et le développement de ces solutions dans les territoires peu denses, où le développement d’une offre de transport en commun est par définition difficile voire impossible, et où la voiture reste souvent une solution de mobilité incontournable.

Je souhaite à cet égard, dans la loi, actionner différents leviers pour favoriser le développement massif des services de mobilités partagées, qu’ils prennent entre autres la forme de l’autopartage ou du covoiturage. Ces services sont essentiels à de nombreux égards : en zones peu denses, ils permettent d’apporter des solutions alternatives pertinentes et efficaces à l’usage individuel de la voiture, mais aussi sources importantes d’économie pour les ménages.

Les autorités organisatrices de la mobilité verront ainsi leurs compétences élargies en matière de covoiturage : la loi leur permettra non seulement d’organiser elles-mêmes un service public de covoiturage mais également de soutenir financièrement des opérateurs ou des solutions innovantes entre particuliers.

Les pouvoirs de police des maires seront quant à eux clarifiés pour favoriser les dispositions en faveur du covoiturage, notamment en matière de stationnement, de voies réservées et de facilités de circulation.

Je souhaite également conforter les services de transport d’utilité sociale, que la loi Grandguillaume avait permis en 2016 d’inscrire dans le Code des transports et donc de sécuriser, que cette activité soit organisée par des associations ou des particuliers.

  1. Et puis il nous faut encourager la mobilité des habitants des QPV et des personnes à faibles ressources

L’Etat, au travers du grand Plan d’Investissement à hauteur de 500 M€ sur le quinquennat pour les transports, soutient l’action des collectivités territoriales qui s’engagent dans la mise en place des solutions de proximité, adaptées aux difficultés de transport dans leur territoire. Il peut s’agir de services de mobilité vers les personnes limitées dans leurs déplacements en raison de leur éloignement des transports collectifs ou de leurs conditions sociales et financières, que vous prenez en charge par exemple au travers des plateformes de mobilité. Cela contribuera à l’amélioration de leur mobilité et, ainsi, de leur bien-être et de leur insertion socio-professionnelle.

Je proposerai également que le 4e appel à projets relatif aux transports collectifs et aux solutions de mobilité durable nouvelles, porte une attention particulière à la desserte des quartiers prioritaires de la politique de la ville, encore trop souvent aujourd’hui éloignés des centres urbains et des bassins d’emploi.

Enfin, dans la continuité des principes défendus dans la loi encourageant les autorités organisatrices de la mobilité à se saisir des enjeux sociaux de la mobilité, l’État leur donnera la possibilité de financer et distribuer des chèques mobilité, sur le modèle des chèques culture, selon les critères d’attribution de leur choix, pour faciliter l’accès à des mobilités propres et durables. Par ailleurs, en matière de tarification, au regard du faible déploiement actuel dans les réseaux urbains de la tarification solidaire, l’État coconstruira avec les acteurs un référentiel national indicatif afin de faciliter sa prise en main par les autorités organisatrices de la mobilité.

Vous le voyez, c’est une vision d’ensemble que je souhaite défendre, au sein de la loi et au-delà, à destination des personnes et des territoires les plus vulnérables face à la mobilité. Le Parlement aura à débattre de l’essentiel de ces mesures dans les prochains mois, et je ne doute pas qu’il permettra encore de l’enrichir.

Je veux terminer par une confidence, si vous m’y autorisez. Dans mes journées parfois chargées, il m’arrive de trouver du temps pour lire la presse. Et j’y ai vu récemment l’appel collectif pour un droit à la mobilité. En proposant la LOM, nous proposons d’actualiser nos logiciels de pensée et d’action pour à la fois nous mettre à hauteur des besoins d’aujourd’hui et préparer ceux de demain. Ca ne peut donc pas se faire sans actualiser l’article 1 de la LOTI : nous transformerons le droit aux transports qui est affirmé en un droit à la mobilité dont je sais combien il vous vous tient à cœur.  

Vous pouvez compter sur ma détermination pour mener à bien ce vaste chantier.

Et de nouveau, je veux remercier tous ceux qui, dans ce public -et je sais que vous êtes nombreux- avez participé activement aux Assises de la mobilité ; vous aurez permis par la richesse de vos contributions à poser les jalons de cette loi bientôt en discussion.

Je vous remercie.

Seul le prononcé fait foi.

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